Entrevue avec Rébecca Déraspe

Fraîchement revenue d’un voyage à Bruxelles, l’auteure montréalaise Rébecca Déraspe nous parle de sa passion pour le théâtre, de Deux ans de votre vie, de ses personnages, d’amitié et des projets qui l’habitent.

Comment es-tu arrivée à l’écriture et au théâtre?
Quand j’étais enfant, mon rêve était de devenir actrice. J’étais fascinée par les comédiens des téléséries. J’ai commencé des cours de théâtre dès l’âge de cinq ans. À 20 ans, j’ai réalisé que la scène était un endroit très stressant pour moi et que je ne pouvais pas être comédienne. Ce fût un constat difficile. Je me suis ensuite dirigée en création littéraire à l’université. Il y avait un cours d’écriture dramatique au programme. J’ai tout de suite été allumée par ce type d’écriture qui rejoignait ma passion pour le théâtre tout en me permettant de m’exprimer autrement. J’avais trouvé ma place. J’ai commencé à écrire des pièces et j’ai passé les auditions pour entrer à l’École nationale de théâtre en écriture dramatique. J’y ai gradué en 2010.

Qu’est-ce qui t’a poussée à écrire Deux ans de votre vie ?
J’ai été approchée par les Biches pensives, une compagnie de théâtre montréalaise formée par Annie Darisse et Dominique Leclerc, deux comédiennes. Elles m’ont donné une commande: écrire sur la pression sociale exercée sur les célibataires et les couples. C’est une thématique qui me parlait beaucoup d’emblée, qui me rejoignait personnellement. Je connais très bien Annie et Dominique et nous venons de la même école de pensée. Nous partagions dès le départ une vision commune du projet. J’ai l’impression qu’elles m’ont donné une étincelle plutôt qu’une commande. C’était un beau cadeau. Mon plus grand défi a été de théâtraliser l’énoncé de base, en évitant les clichés, la caricature et le didactisme. Je n’ai pas voulu prendre position sur le couple, mais plutôt présenté une situation qui ferait réfléchir sur le sujet.

Est-ce que le fait que ce soit une commande a influencé ton processus créatif?
Oui, surtout pour les personnages. La plupart du temps, ce sont Annie et Dominique qui jouent dans les pièces qu’elles produisent. Je me suis donc inspirée de ces deux femmes, de qui elles sont, mais surtout de leurs forces en tant que comédiennes, pour créer mes personnages. Nous avons également collaboré étroitement durant tout le processus, ce qui a eu un impact sur l’écriture. Nous nous rencontrions régulièrement pour échanger sur le texte et me permettre de l’entendre jouer. Par conséquent, le rapport à l’oralité est très présent dans Deux ans de votre vie.

Comment décrirais-tu Deux ans de votre vie?
C’est une pièce qui porte un regard caustique sur les couples, sans toutefois sombrer dans la méchanceté. Ça parle de notre besoin d’être aimé et d’être amoureux avec beaucoup d’empathie. La pièce a tous les éléments d’une comédie romantique, sans en être tout fait une. En général, les spectateurs ont envie de voir Chloé et Jérémie, les personnages, tomber en amour, même si ils savent que la situation qu’on leur présente est complètement absurde. Ça pose des questions sur notre capacité à faire des compromis en amour.

Crois-tu que les relations de couple ont évolué depuis que tu as écrit la pièce il y a cinq ans? Est-ce que l’arrivée de Tinder et autres applications du genre changent la donne selon toi?
Je pense que oui. Plus ça va, plus on a le choix, plus le magasin est gros. La pression est toujours là d’être en couple, de former une équipe et d’avancer à deux dans la construction de notre vie, que ce soit pour acheter une maison ou fonder une famille. En même temps, on est de plus en plus exposé aux multiples choix qui s’offrent à nous. On nous rappelle sans cesse de chercher le bonheur, de nous écouter, de nous réaliser. On peut être n’importe qui, n’importe quoi. Quand est-ce qu’on s’arrête et qu’on se dit, ça y est, c’est avec cette personne que je veux être, parmi toutes celles qui existent? Ces deux lignes de pensées ne vont pas toujours bien ensemble et je crois que ça peut être très anxiogène.

Est-ce qu’un des trois personnages de Deux ans de votre vie te ressemble davantage?
Chloé, définitivement. C’est une petite romantique qui se laisse facilement charmer. C’est aussi une fille qui a un grand sens de l’autodérision. C’est moi, ça. Et c’est aussi beaucoup Annie Darisse, la comédienne pour qui j’ai écrit le rôle. Annie et moi, on se connait depuis l’enfance. Je l’ai d’ailleurs rencontré dans mes cours de théâtre à 5 ans! Chloé, c’est un peu un amalgame de nous deux.

Tu as gagné le Prix Auteur dramatique BMO Groupe financier avec Deux ans de votre vie. Qu’est-ce que cette récompense signifie pour toi?
Le prix BMO est un prix décerné par le public. Et, avant tout, j’écris pour lui, pour le toucher, le faire rire, le faire réfléchir. De recevoir une telle récompense a été pour moi la confirmation que ce public entendait et recevait mes mots ; j’ai été ébahie durant plusieurs mois, moi, toute jeune auteure qui sortait de l’École nationale de théâtre. Et j’ai eu la confirmation que j’étais à la bonne place. C’est énorme pour moi.

Une des particularités de ta pièce est la façon dont les personnages racontent directement leur histoire au public. Peux-tu nous parler un peu de ce choix?
Comme la pièce traite de la pression sociale, j’ai voulu prendre les spectateurs directement à partie. Quand, par exemple, les personnages s’adressent à eux et disent des choses comme « Vous souriez, vous êtes contents, vous pensez ça… », ça met en relief le fossé qui existe souvent entre les attentes qu’on a et la réalité. C’est une façon de souligner le propos avec la forme. C’est aussi un procédé que j’ai utilisé, au départ, pour des raisons pratico-pratiques. L’objectif de départ avec ce texte, c’était une mise en lecture dans un festival. On ne voulait pas embaucher un comédien juste pour lire les didascalies, alors je les ai intégrées aux répliques des personnages. On s’est rendu compte que ça fonctionnait très bien et c’est resté par la suite.

Est-ce que cela a un impact sur la façon de mettre en scène et en espace le texte?
Oui, le rapport scène/salle est différent selon moi. Parce que les actions sont plus souvent décrites que jouées, le spectateur est davantage sollicité. Il doit faire appel à son imaginaire! Le metteur en scène, lui, fait face au fait que ce sont les mots qui délimitent l’espace. Ça lui demande de penser autrement. Quant aux comédiens, ils se promènent constamment entre les adresses au public et les dialogues. Il faut beaucoup de finesse et de souplesse pour que ces coupures se fassent naturellement.

Quels sont tes projets en ce moment?
Je travaille sur une nouvelle commande des Biches pensives qui portera sur l’accomplissement au féminin. Le texte sera produit l’an prochain. Ma pièce grand public Plus (+) que toi sera produite à Winnipeg cet automne. Pour les enfants, je développe un texte pour le Théâtre Bouches décousues et le Théâtre de la Petite marée et mon texte Le merveilleux voyage de Réal de Montréal sera en tournée au Québec l’an prochain. Je travaille également sur des séries télé avec des maisons de productions comme Pixcom et Casablanca, ainsi que sur une adaptation cinématographique de Deux ans de votre vie.

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