We love Arabs: entrevue avec le chorégraphe Hillel Kogan

Après avoir été annulé au début de la pandémie, We Love Arabs, spectacle du chorégraphe israélien Hillel Kogan acclamé sur les scènes à travers le monde, arrive finalement à Vancouver. Avant les représentations qui se tiendront du 13 au 15 avril, nous avons eu la chance de plonger avec lui dans des questions profondes relatives à ses œuvres et techniques de danse, ses opinions politiques ainsi que l’utilisation de l’humour dans l’art.

We Love Arabs est une œuvre à la croisée de la danse et du théâtre. Pouvez-vous nous parler de cette combinaison? En tant que chorégraphe, comment incorporez-vous les aspects théâtraux dans vos créations?

Hillel Kogan: La pièce repose fortement sur le texte. Nous jouons les personnages d’un chorégraphe et d’un danseur, et la scène est située dans un studio. À cet égard, il s’agit d’une pièce de théâtre, mais elle explore également le monde de la danse, ainsi que le conflit et les dynamiques de pouvoir entre Juifs et Arabes, à travers l’exemple d’un Juif israélien et d’un Arabe israélien tentant de collaborer.Je n’ai pas d’intérêt spécifique pour les aspects théâtraux, mais j’utilise des éléments qui sont à ma disposition pour transmettre le message de manière efficace. Ça me convient parfaitement d’appartenir au domaine de la danse contemporaine, qui a une définition très fluide: qu’est-ce que la danse contemporaine? Quels sont les codes et les conventions de création à l’intérieur de celle-ci? En tant que chorégraphe de danse contemporaine, je me permets d’utiliser tout matériel provenant de diverses formes d’art, mais mon objectif est principalement de créer une pièce qui explore les expériences des danseurs et des chorégraphes, ainsi que la manière dont le domaine de la danse intègre les conventions sociales et culturelles.

Vous avez créé ce spectacle en 2013 et il continue à tourner avec succès à l’international. Ce spectacle résonne-t-il encore pour vous de la même manière qu’il y a 10 ans? Aviez-vous depuis longtemps l’envie de créer une pièce traitant d’un sujet aussi sensible que les relations entre Arabes et Juifs en Israël?

Hillel Kogan: C’est très excitant que cette pièce soit toujours vivante, jouée et qu’elle évolue 10 ans après la première représentation. À chaque interaction avec le public, je reviens en tant que personne nouvelle et changée. Cela permet également de laisser de l’espace pour l’improvisation. Le peaufinage de la performance et son exécution sont affectés par ces changements personnels que je traverse au fil des ans, mais aussi par le paysage politique en constante évolution qui m’entoure. Le conflit entre Israéliens et Arabes est toujours là, mais il change, il empire et parfois on l’oublie. Toutes ces informations qui nous entourent dans notre société envahissent et contaminent la pièce d’une certaine manière. En la jouant encore et encore, je me répète certains messages, je les possède davantage de sorte qu’ils résonnent différemment que lorsqu’ils étaient frais et nouveaux. C’est comme répéter un mantra encore et encore, en croyant progressivement de plus en plus en lui ; et trouver le bon moyen d’exprimer mes vraies émotions et pensées, qui ne sont pas aussi simples et absolues que le mouvement et le texte que je joue. La complexité de mes émotions et opinions sur la situation continue à surgir à chaque répétition de la performance.

Je n’ai pas ressenti le besoin de créer une pièce sur un sujet sensible, mais j’ai ressenti le besoin d’aborder une question qui me préoccupait depuis un certain temps, celle de ma participation politique: comment contribuais-je, en tant que citoyen israélien, au conflit ethnique et culturel qui m’entourait? En tant que chorégraphe, danseur, être humain, je me suis demandé ce que je faisais activement dans ma vie. Si je suis une personne qui croit que ce conflit devrait prendre fin, prête à ouvrir mon cœur, à partager et à tendre la main à mon voisin arabe pour la coexistence, qui vote pour la paix et pour la fin du conflit, que fais-je? Est-ce que je parle arabe? J’ai réalisé que je ne prenais aucune mesure dans ma vie pour promouvoir la coexistence. Je ne donnais pas l’exemple, alors pourquoi devrais-je m’attendre à ce que quelque chose change dans la société? Et c’est ce qui m’a poussé à poser ces questions et à les mettre sur la table sous forme d’une performance de danse, à travers la rencontre entre un chorégraphe juif et un danseur arabe qui cherchent à créer une pièce sur la coexistence. D’une certaine manière, il s’agit d’une œuvre autobiographique, car j’ai moi-même décidé de collaborer avec un danseur arabe pour créer cette performance. Et bien sûr, la dynamique de pouvoir est une métaphore de la relation entre les Juifs et Arabes israéliens.

Bien que le thème de We Love Arabs soit sérieux et politiquement engagé, vous l’infusez d’une bonne dose d’humour et de provocation. Comment parvenez-vous à trouver cet équilibre?

Hillel Kogan: J’utilise toujours l’humour dans mes créations. C’est un choix conscient, mais c’est aussi naturel pour moi. J’aime faire rire les gens et raconter des blagues. J’aime faire le clown, j’aime l’ironie. En tant que personne naturellement cynique, j’apprécie l’absurdité de la vie, de la société et de la nature humaine. Et je ne crois pas que l’humour soit incompatible avec des sujets ou des questions sérieuses. En fait, je le considère comme un moyen créatif et artistique d’aborder et de calmer les émotions et les problèmes sérieux. Lorsqu’il s’agit de sujets difficiles tels que le conflit violent entre les Arabes et les Juifs, l’humour permet d’atténuer les émotions intenses qui accompagnent généralement ces discussions. La culture israélienne regorge de pièces artistiques – en danse, théâtre, peinture, littérature, cinéma et musique – qui traitent de ce conflit et du défi de la coexistence entre majorité et minorité.
Et généralement, bon nombre de ces œuvres ont tendance à s’appuyer sur les mêmes clichés et à évoquer des sentiments de colère, de violence, de frustration et d’impuissance. Je vois l’humour comme un moyen de se distancer de ces émotions négatives, d’inviter des perspectives différentes et d’ajouter de la profondeur à la conversation. À travers mon travail, je vise à encourager les gens à rire d’eux-mêmes, à critiquer le statu quo et à poser les questions que je me pose. J’utilise également l’humour pour exposer l’hypocrisie que je vois dans la scène artistique israélienne, et pour encourager les gens à en rire afin que nous puissions collectivement acquérir une vision et une compréhension. Je ne sais pas s’il y a un équilibre à trouver entre le sérieux et l’humour. C’est instable, c’est déséquilibré, ça tire tout le temps d’un côté ou de l’autre.

Vous présenterez ce spectacle en anglais et en français à Vancouver, mais il existe également en hébreu et en espagnol. Jouer une œuvre dans quatre langues, quelle prouesse! Y a-t-il des obstacles à jouer dans différentes langues? Votre jeu d’acteur et vos « intentions » changent-ils en fonction de la langue dans laquelle vous jouez?

Hillel Kogan: Oui, cela change car j’ai une maîtrise différente de chaque langue et des capacités différentes pour m’exprimer et m’identifier avec la langue dans laquelle je joue. J’interprète toujours un Israélien, donc je pense que l’hébreu est pour moi la base, la référence. Quand je joue en anglais ou en français, je ne prétends pas être britannique, français, canadien ou autre chose, mais je prends en considération que la langue n’est pas la mienne. Quelque chose dans la technique que je dois utiliser avec la langue doit être organique avec mon identité d’Israélien et être connecté à la référence de l’hébreu. C’est comme en poésie, vous ne pouvez pas traduire les mots tels quels; nous entrons parfois dans le domaine créatif afin de trouver la bonne façon de dire les choses dans différentes langues. Ce n’est pas seulement une question de langue, mais aussi de culture du public qui est face à moi. Les publics ont des connaissances, des approches et des stéréotypes différents sur les Juifs, les Arabes, les danseurs, etc. Donc oui, bien sûr, tout cela est incorporé dans la performance, et cela influence également l’utilisation de la langue.

En plus de créer des chorégraphies, vous enseignez le mouvement Gaga, un langage corporel instinctif développé par Ohad Naharin au sein de la Batsheva Dance Company et basé sur l’écoute du corps et des émotions. Comment l’enseignement et la création vont-ils de pair pour vous? Est-ce que l’un renforce l’autre?

Hillel Kogan: Le Gaga est l’un des entraînements corporels que je pratique. Je fais aussi du flamenco, j’ai fait du ballet et je pratique beaucoup le yoga également. Tous les cours de mouvement et les connaissances que j’acquiers en m’entraînant me permettent de devenir le danseur que je suis aujourd’hui. Ils préparent mon corps à la virtuosité et à l’exécution requises dans mes différentes pièces pour me maintenir en forme, mais aussi pour développer davantage de force, flexibilité et polyvalence. Ce ne sont pas seulement des méthodes physiques, elles ont aussi une dimension spirituelle et, ensemble, elles forment le “cocktail d’esprits” qui fait de moi le danseur que je suis. Toutes ces couleurs sont présentes dans mes pièces. Ce sont des outils que j’utilise pour créer, mais pas spécifiquement le mouvement Gaga. Il est présent parce que j’ai travaillé avec la Batsheva Dance Company, qui représente une grande collaboration pour moi et une découverte à laquelle je m’identifie. Il y a beaucoup d’outils dans le langage Gaga que je peux utiliser en tant que personne, danseur et chorégraphe également. Mais ce n’est pas comme si j’avais un langage préfabriqué que j’applique pour créer une chorégraphie. C’est mon accent: comme l’accent que j’ai quand je parle, c’est l’accent que j’ai quand je bouge. Pour moi, l’enseignement et la création vont de pair, mais pas de manière directe; je ne peux pas dire exactement comment l’enseignement affecte ma création ou comment la création affecte mon enseignement. Je les perçois comme des occupations parallèles. Mais bien sûr, les découvertes que je fais à travers des recherches avec les étudiant·e·s auxquel·le·s j’enseigne, m’enseignent et m’inspirent également pour mes créations.

Propos recueillis en anglais puis traduits en français


 

Co-présenté avec le Dance Centre, We Love Arabs se tiendra du 13 au 15 avril, à 20h, au Scotiabank Dance Centre. Les représentations en anglais auront lieu le jeudi 13 avril et le samedi 15 avril ; la représentation en français (complète mais une liste d’attente est ouverte! Veuillez nous contacter par courriel à ventes(at)seizieme.ca ou par téléphone au 604.736.2616 pour y être ajouté·e) aura lieu le vendredi 14 avril. Veuillez noter qu’il n’y aura pas de surtitres pour ce spectacle. Informations et billets sur la page du spectacle.

Êtes-vous danseur·euse et/ou chorégraphe professionnel·le? Hillel Kogan animera un atelier de chorégraphie destiné à expérimenter les outils qu’il utilise au cours du processus créatif. Cet atelier, donné en anglais, sera organisé par le Dance Centre le jeudi 13 avril. Cliquez ici pour plus d’informations et pour réserver.

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