Entretien avec Philippe Cyr

Nous clôturons notre saison 2018-2019 avec Ce qu’on attend de moi, un spectacle audacieux et poétique imaginé par Philippe Cyr et Gilles Poulin-Denis. Après une tournée à Montréal (Usine C) et Ottawa (Théâtre du Trillium et Théâtre français du Centre national des Arts), cette production de 2PAR4 et de L’Homme allumette sera présentée à Vancouver du 21 au 25 mai 2019 à Performance Works. Pour mieux comprendre le spectacle, nous avons posé quelques questions à Philippe Cyr.

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Philippe Cyr, je viens de la Gaspésie, de l’est du Québec et j’habite à Montréal. J’ai étudié à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, où j’ai rencontré Gilles Poulin Denis. Aujourd’hui, je me consacre à des projets de création théâtrale en tant que metteur en scène.

Parlez-nous de Ce qu’on attend de moi. Ce n’est pas un spectacle traditionnel…

Pas vraiment. C’est plutôt une expérience à laquelle on convie le public. Celui-ci fait partie intégrante du spectacle. À chaque représentation, un volontaire, désigné le soir même, devient acteur de la représentation et plonge au cœur d’un dispositif scénique surprenant.

Pouvez-vous nous expliquer le processus, plus concrètement ?

L’accueil du public se fait toujours dans des endroits conviviaux. Ici, à Vancouver, ce sera dans un chapiteau. On discute avec les spectateurs, et puis un jeu se met en place afin de sélectionner l’heureux élu de la soirée. Toujours sur base volontaire, bien entendu. On pose quelques questions, on procède par élimination jusqu’à parvenir à un groupe restreint de candidats. C’est ensuite le public qui choisit, parmi ce petit groupe, celui ou celle qui vivra l’expérience. Le candidat choisi est invité à se rendre dans un autre espace, celui du théâtre, où se trouvent des caméras. Il va alors être accompagné, guidé au travers différents lieux et actions. Son parcours est filmé et retransmis en direct au reste du public.

Que vous disent les gens qui ont été choisis, après le spectacle ? Sont-ils contents d’avoir vécu cette expérience ?

Ils sont assez déroutés, car ils ne s’attendaient pas du tout à ça en venant voir le spectacle, mais également totalement ravis. C’est un voyage assez introspectif auquel on les convie, mais jamais intrusif. Ils sont reconnaissants d’avoir pu vivre ce moment-là. 

Comment vous est venue l’idée de cette pièce ?

Le projet est né il y a longtemps, sous d’autres formes. Avec Gilles Poulin-Denis, nous avions cette idée de créer un spectacle autour de l’absence. Une dramaturgie sans acteur. Nous avons commencé par mettre en scène des appartements, dans lesquels on faisait venir le public. Les gens arpentaient les pièces à la découverte ce que les objets et les lieux pouvaient raconter. Ça a commencé comme ça. C’était intéressant, mais on voulait aller plus loin. On est alors tombé les écrits d’Henri Laborit, avec « Éloge de la fuite ». Ça a été le déclencheur. On a eu l’idée d’écrire ce qu’on aime appeler « une partition pour spectateurs ».

Quels sont les grands thèmes de Ce qu’on attend de moi ?

Ce spectacle parle de fuite, d’absence, de changement, de conditionnement, d’imagination. Je dirais aussi que c’est un spectacle profondément humain, avec une certaine dose de nostalgie. On traverse ces thèmes en faisant la rencontre d’une personne à qui l’on n’aurait probablement jamais parlé autrement. À la fin du spectacle, on a l’impression de la connaître un peu mieux, d’avoir créé un lien. Il y a un processus empathique qui se met en place entre le public et le spectateur choisi.

Chaque soir, en quelque sorte, vous  créez un nouveau spectacle. Il y a une certaine prise de risque de votre part. Comment le vivez-vous ?

On est tout aussi nerveux que les personnes choisies ! On se demande si ça va fonctionner, si les gens vont aimer. Mais ce n’est pas nous qui choisissons le candidat, c’est le public. Et c’est une surprise à chaque fois. Il y a quelque chose de différent qui émerge. Avec ce spectacle, on défait complètement nos aprioris, nos préjugés. On déconstruit les images que l’on se fait des autres juste en les regardant.

Pourquoi venir voir ce spectacle ?

C’est un projet à la fois expérimental et accessible. Ce que l’on explore, c’est l’universalité des sentiments humains. On a tous le même éventail d’émotions, mais chacun les décline différemment, avec ses propres couleurs. C’est cette diversité que le spectacle met en lumière. Il y a quelque chose de très beau, de très pur qui émerge chaque soir. Les gens sont mis en valeur à travers leurs particularités. Souvent, au théâtre, tout est contrôlé, calculé. Ici, non. C’est comme si on avait accès d’une manière particulière à quelqu’un que l’on ne verrait pas autrement. Et c’est d’une grande beauté.

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