Genèse d’une création

La première de Selfie, le 28 mars prochain, sera l’aboutissement d’un parcours de plus de deux ans! Avec l’aide des élèves de l’école secondaire Crofton House, l’auteure Christine Quintana et l’équipe de production ont patiemment façonné l’histoire d’Anna, Lili et Chris. Nous retraçons ici les grandes étapes de la création, de l’impulsion à la scène.

L’INVITATION
En 2013, le directeur artistique du Théâtre la Seizième, Craig Holzschuh, assiste au spectacle STATIONARY: a recession-era musical, dont Christine Quintana signe le livret. « Le spectacle m’a beaucoup plu. C’était frais, énergique et honnête. Je me suis dit que l’écriture et l’univers de Christine conviendraient bien à un public adolescent », se souvient le directeur artistique. Quelques mois plus tard, il invite la jeune artiste à se joindre au programme de développement dramaturgique de la compagnie. Créée en 2001, cette initiative soutient la création de nouveaux textes en français par des artistes de la Colombie-Britannique.

Pour Christine, il s’agissait de sa toute première commande de texte. « C’est difficile d’exprimer à quel point j’étais honorée et enthousiaste quand Craig m’a demandé d’écrire une pièce pour adolescents pour le Théâtre la Seizième », explique la jeune auteure. Rapidement, son excitation cède place à l’angoisse. « Je n’arrivais pas à écrire. J’étais terrifiée à l’idée de ne pas trouver une histoire qui m’inspirerait et qui se conformerait aussi aux exigences de la commande », ajoute-t-elle.

L’ÉCRITURE
Heureusement, quatre mois plus tard, les grandes lignes de Selfie se dessinent! Touchée par les histoires de viols qui alimentent les nouvelles aux États-Unis et au Canada, Christine décide d’examiner les abus sexuels à travers la lentille des médias sociaux. « Quand on entend ce genre de nouvelles à la télévision, notre réflexe est souvent de croire que cela ne nous concerne pas. J’ai voulu écrire une histoire proche de nous, une histoire qui pourrait arriver dans une école de la Colombie-Britannique. Je me suis aussi intéressée à l’imaginaire et au langage des médias sociaux et à la façon dont ceux-ci s’infiltrent dans notre quotidien.»
La première version de Selfie emballe l’équipe du Théâtre la Seizième. La langue a du mordant, les personnages sont attachants, l’histoire interpelle. Commence alors le travail de réécriture. Christine collabore avec le conseiller dramaturgique Marcus Youssef qui la guide, ce qui lui permet d’approfondir les différents aspects de sa pièce.

Pour Christine, le plus grand défi est d’écrire une histoire multidimensionnelle sur un sujet aussi délicat que le sien. Elle souhaite créer une pièce qui ne soit pas moralisatrice, mais qui envoie tout de même le bon message aux étudiants. « J’ai énormément appris à travers ce processus », témoigne Christine. « On ne peut pas écrire du théâtre à partir d’idées ou de concepts. On doit simplement donner vie à des personnages, les faire interagir et réagir. L’histoire vient d’elle-même à partir de là. »

L’ÉQUIPE
Parallèlement à l’écriture, le directeur artistique Craig Holzschuh et la metteure en scène de la pièce, Rachel Peake, assemblent l’équipe d’artistes qui transposera le texte sur scène.

Une audition est organisée afin de trouver les comédiens qui incarneront Anna, Lili et Chris, les trois personnages de la pièce. Siona Gareau-Brennan, Julie Trépanier et Vincent Leblanc-Beaudoin décrochent les rôles. Pour ces trois jeunes artistes, il s’agit d’une occasion unique de parcourir la province en tournée et de rencontrer des milliers de jeunes spectateurs. « Je suis honorée d’avoir été choisie pour jouer Anna. C’est très spécial d’être la première comédienne à incarner un rôle », confie Siona Gareau-Brennan.

On choisit également les concepteurs : la scénographe Jennifer Stewart, le vidéaste Cande Andrade et le concepteur sonore Malcolm Dow. Ce sont eux qui créeront le décor, la musique, les costumes et les vidéos qui complèteront le spectacle. Parce que la pièce sera en tournée pendant plusieurs semaines, tous les éléments scéniques doivent pouvoir être installés et désinstallés rapidement, entrer dans un camion et s’adapter à toutes sortes de salles. Un beau défi!

LES ATELIERS D’ÉCRITURE
Au printemps 2014, le texte rencontre pour la première fois son public. Les comédiens se rendent à l’école Crofton House pour présenter une lecture de Selfie à un groupe d’étudiantes. Ces dernières réfléchissent à la pièce au cours des jours suivants. « Elles ont beaucoup discuté de la façon dont les éléments de la pièce résonnaient avec leur réalité. Les personnages leur semblaient très réalistes et la pression sociale et l’utilisation des médias sociaux étaient pour elles des sujets familiers », explique Cheryl Causley, enseignante d’art dramatique à Crofton House.

Une fois le travail en classe terminé, les étudiantes reçoivent la visite de Christine Quintana. L’auteure recueille leurs commentaires, leur pose des questions et vérifie leur compréhension. « J’ai été très impressionnée par l’acuité et la profondeur de leurs observations. Notre discussion m’a fait réaliser à quel point les médias sociaux sont intégrés à leur mode de vie. Cela m’a encouragé à placer ce sujet au cœur de mon écriture », explique Christine. Elle ajoute en souriant que les étudiantes lui ont interdit de mettre l’acronyme ‘‘YOLO’’ dans la pièce. « Même à 25 ans, j’ai écrit quelque chose de dépassé et et de ringard! Je les remercie de m’avoir évité une situation embarrassante! »

Christine retourne à sa table d’écriture. En novembre 2014, un deuxième atelier est organisé, cette fois avec les comédiens et les concepteurs. L’idée est de présenter aux étudiantes de Crofton House quelques scènes mises en espace, avec des vidéos et un début de décor. Cette nouvelle période de travail avec le groupe permet de valider la façon dont la technologie et les médias sociaux sont intégrés dans la production et de tester les changements apportés au texte par Christine.

TRADUCTION
En décembre, Christine finalise l’écriture de Selfie. La pièce, écrite en anglais, doit maintenant être traduite en français. On confie la tâche à l’auteur Gilles Poulin-Denis. « Le texte emploie une langue inspirée de la façon dont on communique sur Facebook, Twitter Instagram ou SnapChat. Souvent, il n’existe pas de traductions officielles pour les termes qui circulent sur ces plateformes. Et quand il y en a, elles ne sont pas vraiment utilisées par les jeunes. »

Le traducteur décide de coller la langue à la réalité des jeunes francophones, et utilise un français parsemé d’anglais. Le Théâtre la Seizième lui permet ensuite d’entendre sa traduction lors d’une lecture organisée en février. Après quelques ajustements, le texte est enfin prêt à être joué!

PRODUCTION
Mars 2015. Toute l’équipe se met à la tâche pour donner vie au spectacle. Les comédiens répètent durant trois semaines. Ils apprennent leur texte, trouvent les bonnes nuances et les émotions justes, et intègrent les centaines de déplacements qui forment la chorégraphie du spectacle. De leur côté, les concepteurs mettent en commun leurs propositions et créent le décor, la musique, les costumes et les vidéos sous la supervision de la metteure en scène Rachel Peake et du directeur technique Jeremy Baxter.

LA TOURNÉE
Après la première au Studio 16, le 28 mars prochain, l’équipe de Selfie rendra visite à 22 écoles de la Colombie-Britannique. Environ 5000 étudiants auront la chance de voir le spectacle. Les comédiens et la régisseuse Rebecca Mulhivill parcourront des milliers de kilomètres à travers la province pour une tournée d’un mois. « J’espère que Selfie donnera l’occasion aux enseignants et aux étudiants d’entamer un dialogue sur la notion de consentement et et sur le sujet délicat des agressions sexuelles. Ce n’est pas facile d’en parler, même quand on est adulte, mais je crois que nous sommes de plus en plus conscients, dans notre société, qu’il est essentiel d’avoir cette conversation », explique Christine.

Pour Cheryl Causley, le théâtre est l’un des meilleurs outils qui soient pour sensibiliser les adolescents à de telles problématiques. « Au cours des ateliers, j’ai découvert que la compréhension qu’avait mes étudiantes de sujets tels que le consentement et les agressions sexuelles était floue, et qu’elles n’étaient pas suffisamment informées. Une pièce comme Selfie est l’occasion de discuter de ces enjeux avec les élèves et leur donner des outils plus appropriés. »

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