Entrevue avec Annie Darisse et Dominique Leclerc
Annie Darisse et Dominique Leclerc sont comédiennes, mais elles sont aussi les instigatrices du spectacle Gamètes. Avec leur compagnie Les Biches Pensives, elles souhaitent traiter d’enjeux sociaux actuels de manière caustique. Revenons avec elles sur les origines du projet.
Gamètes est la deuxième collaboration de votre compagnie avec Rébecca Déraspe (après Deux ans de votre vie). Qu’est-ce qui vous plaît chez cette autrice?
Annie Darisse : Sa capacité à contourner les pièges inhérents à des sujets ou des thèmes convenus comme peuvent l’être la pression de la vie en couple (dans le cas de Deux ans de votre vie) ou l’accomplissement au féminin (dans le cas de Gamètes). Alors que la culture de l’opinion explose et que l’on croit avoir tout lu ou entendu sur un sujet X, Rébecca réussi toujours donner un éclairage nouveau, à relancer la réflexion, à la rendre plus riche, plus complexe. D’autre part, je ne connais pas de meilleure dialoguiste. Pour une actrice, jouer du Rebecca Déraspe, c’est du pur bonbon. Pour une productrice, accompagner une auteure comme elle dans le processus dramaturgique est un privilège.
Dominique Leclerc : Rébecca est une fine dialoguiste. Les mécanismes et la psyché de ses personnages sont des plus agréables et “challengeants” à décortiquer. Après trois ans à jouer Gamètes, on découvre encore plein de nuances possibles, plein de détails qui viennent ajouter du volume au spectacle. À partir d’un sujet précis, Rébecca est en mesure de créer un terrain de jeu des plus tripatifs (sic) tant pour le public que pour l’équipe qui travaille sur ses textes. C’est une des très grandes autrices de notre époque.
Pourquoi vouliez-vous parler d’accomplissement au féminin?
Annie Darisse : Parce qu’en dépit de l’évolution du statut de la femme en Occident, les destinées féminines sont encore soumises à des codes de réussites prédéterminés et établis par une société qui lui dicte encore et toujours ce qu’elles doivent être. Je persiste à croire que les femmes ne “s’appartiennent” qu’en apparence, que les diktats agissent encore sournoisement sur nos choix et sur l’opinion que l’on a de nous-même.
Dominique Leclerc : Les Biches s’attaquent à des sujets épineux, polarisants qui frôlent parfois même les tabous. L’accomplissement au féminin est un sujet sur lequel, comme les personnages de la pièce Aude et Lou le disent si bien: tout le monde a une opinion. C’est donc assez jouissif que de foutre le bordel dans ces certitudes (sic).
Gamètes a déjà été joué à de nombreuses reprises, et en de nombreux endroits. Où avez-vous préféré jouer, et pourquoi?
Annie Darisse : En ce qui me concerne, la représentation la plus marquante fut celle présentée à la Maison de la Culture du Plateau Mont-Royal à Montréal en novembre dernier. Étant à ce moment-là enceinte de 3 mois, il s’agissait de ma dernière représentation avant de “laisser” mon rôle à une (talentueuse) remplaçante. Compte tenu de la nature du personnage que j’incarne dans Gamètes, je trouvais ça à la fois absurdement magnifique et déchirant que ma grossesse soit la cause de cette passation de rôle. Il va sans dire que de jouer le personnage de Lou avec un enfant qui grandit en moi amenait également sa dose de paradoxe. Je peux actuellement affirmer que l’expérience de la grossesse aura certainement densifié mon interprétation et le fait que ma fille Norah, maintenant âgée de 6 mois, soit actuellement avec nous à Vancouver comme membre à part entière de l’équipe de tournée est un délicieux clin d’œil au thème de la pièce.
Pourquoi selon vous le public vancouvérois devrait venir voir Gamètes ?
Annie Darisse : Parce que c’est l’une des pièces les plus drôle et touchante qu’il m’a été donné de lire et de jouer! Je crois sans me tromper que Rébecca est de ces autrices qui seront traduites et jouées sur plusieurs scènes anglophones au pays. Venir voir Gamètes à La Seizième, c’est assister à la création originale dans sa langue originale par les initiatrices du projet. Cela parait peut-être prétentieux, mais Gamètes étant une commande faite par nous, productrice ET interprètes, le besoin de porter ces mots tient de l’urgence, le plaisir d’insuffler ces réflexions est viscéral.
Dominique Leclerc : Ce spectacle est un gros vent de fraîcheur pour les amateurs et créateurs de théâtre. Au niveau de la forme, ça ouvre sur plein de possibles inspirants. Au niveau de la réflexion, quiconque est ouvert-e à repenser les cases, les rôles et les fonctions dans lesquelles nous enfermons les femmes, y trouvera assurément son compte.