Ce que je sais de vrai: entrevue avec Cory Haas
À quelques jours des répétitions de Ce que je sais de vrai, Cory, directeur artistique et général de la Seizième, nous parle de son lien avec le texte, de son travail de traduction et des intentions de mise en scène.
Photo © Gaëtan Nerincx
Things I know to be true est une pièce de l’auteur Andrew Bovell, écrite en 2016. Pourquoi as-tu choisi de produire ce texte ?
J’ai eu la chance de voir la première production de ce texte quand j’habitais à Londres. Je me souviens d’être resté immobile, figé à mon siège pendant plusieurs minutes après la fin du spectacle. Il était d’une grande puissance, porté par un jeu d’interprètes bouleversant, qui est venu me chercher. Cette histoire d’amour familial épineux, aux contours pas toujours très nets, est un sujet qui reste d’actualité peu importe l’époque et l’endroit.
Quand j’ai compris que la première programmation que je signais allait être celle du 50e anniversaire de la Seizième, je me suis mis en quête d’une production qui mettrait en avant notre bassin d’artistes, interprètes comme concepteur•ice•s. Produire Ce que je sais de vrai est devenu une évidence.
La pièce est australienne, et tu l’as traduite toi-même vers le français. As-tu rencontré des défis durant la traduction ? Comment fonctionnes-tu quand tu traduis ?
Cette traduction était un de mes passe-temps durant la pandémie ; je trouvais important de continuer de travailler alors que le théâtre était en pause. Les premières versions étaient réalisées dans un français qui se rapproche du mien. Je traduis seul et je commence en faisant une traduction littérale. Après les auditions, j’ai retravaillé la traduction avec la distribution, afin de mieux cerner leur voix et d’apporter plus de nuances à la dramaturgie de l’auteur dans la langue française. Nous avons décidé de localiser notre production en banlieue de Vancouver et certain•e•s des personnages parlent en anglais à quelques occasions, ce qui reflète bien les compositions familiales qu’on peut trouver ici.
Parle-nous de la mise en scène du spectacle. Le cycle des saisons et le jardin familial jouent un rôle important dans la scénographie…
La pièce est structurée autour des quatre saisons, sur une année entière donc, et elle fait aussi beaucoup référence à la matérialité du jardin qui s’impose dans la vie des Price. L’aspect cyclique des floraisons fait écho à cette idée de renouvellement, d’évolution, des phénomènes parfois difficiles à intégrer dans une vie. Certains personnages s’attachent à la nostalgie, tandis que d’autres perçoivent l’existence de façon très restreinte. L’année qui va s’écouler apporte son lot de surprises et de changements…. et il n’est pas toujours simple de les accepter, comme on le verra!
L’expérience théâtrale commence dès que le public entre dans la salle, c’est important pour moi que l’ambiance soit présente dès le départ. Au niveau de la mise en scène, nous voulons miser sur l’intimité de l’espace du Studio 16, tout en le transformant. J’aimerais souligner le travail formidable de l’équipe de conception, qui relève ce défi haut la main. Le public sera assis sur trois côtés de l’espace, et la division entre l’intérieur de la maison et l’extérieur ne sera pas facile à distinguer… je ne vous en dis pas plus!
Les 6 interprètes travaillent aussi beaucoup sur le mouvement, avec les danseur•se Noam Gagnon et Eowynn Enquist. Pourquoi as-tu choisi de mettre l’emphase sur l’aspect physique ?
La production originale était une collaboration entre un théâtre d’Australie et une compagnie reconnue en Angleterre pour son travail de mouvement. Dès le début de la création, cette physicalité s’est imposée; elle se retrouve d’ailleurs en partie dans le texte d’origine.
À mon sens, le mouvement apporte une autre dimension aux non-dits. Il permet la transmission de l’incommunicable, en passant par l’expression des corps, de gestes, de relations dans l’espace. Là où Noam et Eowynn excellent, c’est qu’iels savent s’adapter aux interprètes. On ne créé pas de chorégraphies, au sens où on ne danse pas dans la pièce. Les mouvements travaillés reflètent beaucoup plus le quotidien, ils sont plus intimes, plus discrets.
Les enfants Price, tous•tes adultes, cherchent encore le chemin de l’indépendance, et se voient confronté•e•s à la difficulté de croire en leurs choix, de s’émanciper de l’amour parental parfois étouffant. Bob et Fran, les parents, voient leur vision du monde et les valeurs qu’iels ont voulu inculquer à leurs enfants être remises en question. Penses-tu que ce sont des dynamiques familiales répandues ?
Je pense que toute famille est complexe, que le fait d’aimer peut se manifester de façons très différentes. Parfois, l’amour est tendre, parfois encourageant, parfois dur et froid. C’est important qu’on ne porte pas de jugement là-dessus: les contextes, les situations, les relations parlent pour eux-mêmes. L’autre dynamique qui m’intéresse est celle véhiculée par le titre: les choses qu’on sait de vraies. Cette certitude qu’on a de la vie, qui peut être rassurante, même si tout ne se passe pas toujours comme on le veut. On se rattache à une nostalgie, à une trajectoire qu’on pense fiable, mais qui au final nous empêche d’évoluer, de s’émanciper. La remise en question de ce qu’on sait de vrai est un fil conducteur de la pièce et va venir impacter différemment les membres de la famille Price.
Y a -t-il un des personnages qui te touche particulièrement ? Pourquoi ?
La beauté du texte vient du fait que chaque personnage a une relation unique avec chacun des membres de sa famille, et l’amour qu’iels se portent se manifeste de différentes manières. C’est la grande force de ce texte, et c’est ce qui sera si riche à regarder depuis le public. Les moments de connexion quand toute la famille est réunie vont se faire ressentir de façon puissante dans le petit espace du Studio 16. J’ai la chance de travailler avec une distribution d’artistes qui sont au sommet de leur art. Vous reconnaitrez quelques visages connus, et découvrirez des interprètes qui travaillent pour la première fois à la Seizième, comme Xénia ou Simon. Dès la première journée de répétitions, j’avais l’impression d’assister à un barbecue du dimanche en famille!
Ce que je sais de vrai prendra l’affiche du 30 avril au 10 mai au Studio 16. Avec Siona Gareau- Brennan, Xénia Gould, Emilie Leclerc, France Perras, Simon Therrien et Andrew Wheeler. Infos et billets disponibles sur la page du spectacle.